Page:Sand - Antonia.djvu/300

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autre, et il rêva sous toutes les formes le meurtre de son rival.

Il sortit dans la campagne et marcha au hasard ; il se retrouva au bord de l’eau. L’orage éclata et brisa non loin de lui un grand arbre. Il s’élança sous la foudre, espérant qu’elle tomberait encore et l’atteindrait. Il reçut des torrents de pluie sans y songer et ne rentra qu’au jour, honteux d’être aperçu dans cet état de démence. Il dormit deux heures et se réveilla brisé, effrayé de ce qui s’était passé en lui, et résolu à ne plus se laisser envahir ainsi par la violence d’une passion dont il avait jusque-là ignoré les périls extrêmes. Il eut beaucoup de peine à se lever, il déjeuna avec sa mère.

— J’ai toujours cru, lui dit-il, que l’amour, étant le bien suprême, devait nous grandir et nous sanctifier. Je vois que l’amour est l’exaltation de l’égoïsme, et qu’il peut nous rendre féroces ou imbéciles. Il faut vaincre l’amour ; mais l’amour ne se brise pas comme une chaîne matérielle : il ne peut que s’éteindre peu à peu.

Julien eut un violent accès de fièvre et de délire, sa mère devina ses tortures et maudit aussi la pauvre Julie dans son cœur.

Cependant Marcel avait été rejoindre Julie.

— Madame, lui dit-il, il faut revenir chez vous.

— Jamais, mon ami, répondit-elle avec sa désolante douceur. Je suis bien ici, j’y vis de ma petite rente, je ne manque de rien, je ne m’y déplais pas, et, à