Page:Sand - Antonia.djvu/305

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rôle que vous jouez là, mais il vous tuera ! À votre place, je me plaindrais, je crierais ! Ça ne remédierait à rien, mais ça me soulagerait. Et puis on en parlerait, le monde s’intéresserait à moi, ça console toujours d’attirer l’attention, tandis que vous vous laissez enterrer vivante sans dire un mot, et le monde, qui est égoïste, vous oublie. On parlait de vous hier au soir chez la duchesse de B… « Cette pauvre madame d’Estrelle, disait-on, vous savez qu’elle est définitivement perdue ? Il ne lui restera pas de quoi prendre un fiacre pour faire ses visites. — Quoi ! disait le marquis de S…, nous verrons une si jolie femme crottée comme un barbet ? Pas possible ! c’est révoltant. Est-ce qu’elle est bien désolée ? — Mais non, répondait madame des Morges. Elle dit qu’elle s’y fera ; elle est étonnante ! » Alors on a parié d’autre chose. Du moment que vous avez du courage, personne ne songe plus à vous plaindre, d’autant plus que c’est commode de ne songer qu’à soi.

Julie se contenta de sourire.

— Vous avez un sourire qui me fait peur ! reprit la baronne. Savez-vous, ma chère, que je vous crois très-mal ? Oh ! je ne suis pas pour les ménagements, moi ! Avec les ménagements, on se néglige et on meurt, ou bien on traîne et on devient laide, et c’est encore pis que d’être morte. Soignez-vous, Julie, ne vous brutalisez pas comme vous faites. Votre grand courage n’en imposera pas tant que vous croyez, allez ! on sait bien qu’il n’est pas possible de tout perdre sans rien