Page:Sand - Antonia.djvu/93

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Les choses en restèrent là durant quelques jours : madame d’Estrelle riant de ce qu’elle regardait comme un accès de démence du vieux parvenu, celui-ci agissant à l’insu de Marcel de manière à mettre le comble à cette démence.

Il acheta sous main toutes les créances qui menaçaient la veuve du comte d’Estrelle, et, sans en rien dire, il se mit en mesure de la ruiner ou de la sauver, selon l’attitude qu’elle prendrait vis-à-vis de lui. Il acheta pour son propre compte, mais sous un nom fictif, avec contre-lettre, la maison de Sèvres avec tout son riche et précieux mobilier. Il ne la loua à personne, et y plaça un gardien pour l’entretenir. Tout cela fut fait en peu de jours et à tout prix ; puis, un beau matin, s’étant adroitement enquis auprès de Marcel des relations intimes de madame d’Estrelle, il alla trouver la baronne d’Ancourt, qui le reçut du haut de sa grandeur, et daigna pourtant lui prêter une oreille attentive en apprenant qu’il venait la mettre à même de sauver madame d’Estrelle d’une ruine certaine.

L’entretien fut long et mystérieux. Les laquais de l’hôtel d’Ancourt, qu’une pareille conférence de leur hautaine patronne avec une espèce de paysan intriguait beaucoup, entendirent des éclats de la voix retentissante de la baronne, puis la voix rustique, une déclamation emphatique et lourde, une dispute enfin avec des alternatives de moquerie ou de gaieté ; car la baronne riait par moments à ébranler les vitres.