LA KORIGANE, farouche. Je n’ai plus ni maîtresse ni maître ; je ne sers plus personne, et, les dames, je les voudrais voir toutes au fond de l’eau. C’est vous autres qui avez tout gâté, tout perdu avec vos bêtises, vos peurs, vos bravades, vos embarras, vos voitures et votre argent ! Ah ! vous voilà bien ! « Veux-tu deux louis pour me sauver la vie ? » Il paraît qu’elle ne vaut pas cher, votre vie de fainéantes !
ROXANE. En veux-tu dix ? en veux-tu vingt ?
LA KORIGANE. Je ne veux rien de vous ! et votre argent, je le méprise. Tout le monde le maudit, allez ! C’est avec ça que vous trouvez partout vos aises quand il n’y a plus rien pour le pauvre monde. S’il y a une voiture ou seulement une charrette, c’est vos amis ou vos amants qui la retiennent pour vous, et nos blessés, à nous, crèvent dans les fossés comme des chiens. S’il y a un morceau de pain dans une chaumière, c’est pour vous ou pour vos filles de chambre. S’il y a un mot de consolation du prêtre, c’est pour vous autres ; un bon regard des chefs, c’est encore pour vous, et, si à deux doigts de la mort on pense encore à l’amour, c’est vous autres qui en avez l’honneur !
ROXANE, bas, à la Tessonnière. Cette furie est jalouse de moi parce que le marquis me fait la cour ! Sauvons-nous, mon cher ! Elle est capable de nous égorger !
LA TESSONNIÈRE. Et on se bat tout près d’ici ! Écoutez ! oui ! Courons, courons !
ROXANE, courant. Eh bien, vous vous arrêtez ?
LA TESSONNIÈRE. J’ôte mes sabots. Tant pis ! j’attraperai un rhume ! (Ils fuient.)
LA KORIGANE, qui a monté sur la butte. Ils se battent déjà ? Ils n’ont donc pas pu gagner le Grand-Chêne ? J’ai peur ! Non, il ne peut pas mourir, lui ! j’ai cousu, sans