Page:Sand - Cadio.djvu/186

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LE DEUXIÈME SECRÉTAIRE. Sais-tu ce que disent les aristocrates à propos du mal dont tu te plains sans cesse ? Ils prétendent qu’à force de faire tomber des têtes, tu sens la tienne près de tomber toute seule !

LE DÉLÉGUÉ. Ah ! cela est étrange ! Je rêve cela continuellement,… et, dans le sommeil, la douleur devient si atroce… Oui, c’est le couperet qui scie ma chair et mes os sans pouvoir les trancher. Et, dans ma rage, je saisis ma tête, moi, pour l’arracher du tronc et la jeter dans le panier… Ne parlons pas de ça… Buvons, prenons des forces factices, puisque celles de la nature sont épuisées. (Il boit.) C’est de l’eau, ça !

LE PREMIER SECRÉTAIRE. C’est du poivre en barres, au contraire. Tu as donc perdu le goût ?

LE DÉLÉGUÉ. Totalement.

LE DEUXIÈME SECRÉTAIRE. Eh bien, il faut boire du sang pour te retremper.

LE DÉLÉGUÉ. Tu es brutal, toi ! une folie sombre !

LE DEUXIÈME SECRÉTAIRE. Veux-tu de l’éloquence ?

LE DÉLÉGUÉ. Non, j’en ai. Donnez-moi plutôt du stoïcisme.

LE PREMIER SECRÉTAIRE. Tu manques de principes, nous le savons. Eh bien, écoute ; qui veut la fin veut les moyens. Détruire ou être détruit, nous en sommes là, plus de milieu ! ce que nous détruisons est le mal…

LE DÉLÉGUÉ. Je sais tout ça, flanquez-moi la paix ! Je sais que, dans toutes les grandes entreprises, il y a un moment suprême où, pour combattre la lassitude et soutenir l’effort, il faut saisir le glaive de la cruauté et… (Reprenant sa tête dans ses mains crispées.) Ah ! je n’en peux plus ; je voudrais être mort !