Page:Sand - Cadio.djvu/318

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Qui sait si, avant que le soleil rouge ait remplacé l’étoile blanche au zénith, il n’y aura pas des membres épars et des lambeaux de chair sur les buissons en fleur ? On dit que ces pierres dressées marquaient jadis les sépultures des morts tombés dans la bataille… Elles attendent, mornes et sournoises. Il y a longtemps qu’elles n’ont bu ; elles ont soif du sang des hommes !

HENRI. Ah ! mon poëte Cadio, voilà que je te retrouve ! Sais-tu que, parmi tes soldats, tu passes pour illuminé ?

CADIO. Je passe pour sorcier, je le sais.

HENRI. N’y a-t-il pas un peu de ta faute ? Ne crois-tu pas un peu toi-même à tes visions ?

CADIO. Je n’ai plus de visions, mais j’ai le sentiment logique et sûr de ce qui doit avoir été et de ce qui doit être.

HENRI. Tu n’es pas modeste, mon camarade !

CADIO. Pourquoi aurais-je de la honte ou de l’orgueil ? Les idées sont toujours entrées en moi sans la participation de ma volonté. Elles étaient dans l’air que j’ai respiré, elles me sont venues sans être appelées ; qui peut commander à ces choses ?

HENRI. Toujours fataliste ?

CADIO. Je ne sais pas ; je n’ai pas eu le temps de lire assez de livres pour bien connaître le sens des noms qu’on donne aux pensées. J’ai là, dans l’âme, un monde encore obscur, mais que des lueurs soudaines traversent. Quand la vérité veut y entrer, elle y est la bienvenue. Elle y pénètre comme un boulet dans un bataillon, et tout ce qui est en moi, n’étant pas elle, n’est plus.

HENRI. Ne crains-tu pas de prendre tes instincts