qu’on nous faisait jouer. J’ai eu horreur de la rage avec laquelle nos compagnons se tuaient les uns les autres pour rejoindre les barques et y trouver place. Je pouvais fuir aussi, je n’ai pas voulu, non pas tant par scrupule que par amour-propre. À présent, je regrette d’avoir cédé à cette mauvaise honte. Ces patriotes un instant désarmés vont nous livrer à un tribunal militaire qui ne peut nous faire grâce, et, moi, je n’ai pas ratifié la parole que vous avez formellement donnée de ne pas chercher à vous échapper.
RABOISSON. Essaye donc, si le cœur t’en dit ; moi, j’ai juré de bonne foi : je reste. Songe seulement que ta fuite nous expose tous au reproche d’avoir manqué à notre serment, et qu’elle autorise contre nous toutes les rigueurs de la vengeance.
SAINT-GUELTAS. En ce cas, je reste aussi. Pourtant… ce pays est royaliste… Les bleus sont imprudents de nous transporter ainsi la nuit. Si les paysans qui n’ont pas encore donné le voulaient,… te refuserais-tu à être délivré ?
RABOISSON. Non ! s’ils s’exposaient pour notre délivrance, nous ne pourrions nous refuser à les seconder.
SAINT-GUELTAS. Eh bien, attendons… Je ne puis croire que, sur cette terre de Bretagne, il ne se trouve pas autour de nous quelques centaines d’hommes qui veillent sur nous. Ce matin, à Carnac, on nous apportait des fruits et des fleurs. Les femmes pleuraient en nous montrant à leurs enfants comme des demi-dieux… Écoute !… il me semble que j’entends le cri de la chouette… Sont-ce des ombres que je vois là-bas ramper sous les arbres ?
CADIO, qui l’écoute. Vous ne voyez rien, monsieur. Moi aussi, j’ai l’œil ouvert, et le cri qui résonne dans le