lui sont utiles pour juger les ouvrages nouveaux qu’on lui propose, il me permet de suivre des cours et d’être plus occupé de sciences que de questions de boutique. Quand je surveille son magasin, quand je fais ses commissions, quand je cours à l’imprimerie, quand je corrige des épreuves, quand je fais son inventaire périodique, je suis une machine, j’en conviens ; mais ce sont mes conditions d’hygiène, et je m’arrange toujours pour avoir un livre sous les yeux, quand une minute de répit se présente. Comme le cher patron a pris la devise : time is money, il met à ma disposition pour ses courses de bonnes voitures qui vont vite, et en traversant Paris dans tous les sens avec une fiévreuse activité j’ai appris les mathématiques et deux ou trois langues. Vous voyez donc que je suis aussi heureux que possible, puisque je me développe selon la nature de mes besoins.
Il n’y avait rien à objecter à ce jeune stoïque, j’étais fière de lui, car il savait beaucoup, et, quand je le questionnais pour mon profit personnel, j’étais ravie de la promptitude, de la clarté et même du charme de ses résumés. Il savait se mettre à ma portée, choisir heureusement les mots qui, par analogie, me révélaient la philosophie des sciences abstraites ; je le trouvais charmant en même temps qu’admirable. J’étais éprise de son génie d’intuition, j’étais touchée de sa modestie, vaincue par son courage ; j’avais pour lui une sorte de respect ; mais j’étais inquiète malgré moi de la tension perpétuelle de cet esprit insatiable dans sa curiosité.