Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/105

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sent je ne vais pas rester bien longtemps ici.

Il y avait déjà quelque temps que Marius parlait de s’en aller, et chaque fois mon cœur se serrait et mes yeux se remplissaient de larmes. L’habitude de vivre avec lui était devenue la moitié de ma vie. Je ne sais si c’était de l’amitié ou de l’égoïsme. Il ne m’aimait certes pas et il ne m’aidait en rien ; mais il était toujours avec moi, il m’arrachait à ma personnalité. Il m’empêchait d’être moi, et je n’aurais su que faire de moi sans lui. J’avais souvent besoin de lui échapper et de me reprendre ; mais au bout de quelques heures il me manquait, et il me semblait que je lui manquais aussi. Notre amitié était celle de deux jeunes chiens qui se mordent un peu, mais qui ne peuvent pas se quitter.

Dans son désœuvrement de prédilection, Marius, très-peu avancé d’esprit et très-peu développé au moral pour son âge, ne trouvait que moi d’assez enfant pour l’écouter, le contredire et l’occuper ; mais il ne se doutait pas que je lui fusse nécessaire, et c’est machinalement qu’il m’attirait ou me retenait près de lui. À mesure qu’il grandissait, il éprouvait quelques rares velléités d’interroger l’avenir et de sortir de la solitude où nous vivions, et pourtant il lui était impossible de savoir ce qu’il voulait faire et désirait être. Il me le demandait