Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/160

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Miss Agar Barns était une fille de quarante ans ; fort laide, qui me fut antipathique et pour ainsi dire à jamais étrangère à première vue. Il me serait impossible, même aujourd’hui, de faire une bonne analyse de son caractère : c’est peut-être qu’elle n’en avait pas de déterminé. Elle n’était pas une personne, mais plutôt un produit, une de ces monnaies usées par le frottement, qui ont perdu toute effigie et qui n’ont plus qu’une valeur de convention. Je crois qu’elle était de bonne famille et qu’elle avait eu des malheurs de plus d’un genre dans sa première jeunesse. Cela avait dû être expié par une vie de gêne et de dépendance, réparé par une complète soumission extérieure aux lois de la société. Au fond, elle ne respectait rien que les apparences, et, si elle n’avait plus de révoltes, c’est qu’elle n’en pouvait plus avoir. Il y avait de l’épuisement dans ses yeux pâles, de l’apathie dans ses grands bras maigres toujours pendants le long de ses flancs abrupts, du découragement dans sa voix sourde et sa parole traînante. Et sous ces airs de ruine vulgaire il y avait l’orgueil d’une princesse détrônée, peut-être le souvenir d’une grande déception. La seule chose vivante en elle, c’était l’imagination ; mais c’était une fantaisie vague, niaise, et comme une suite de rêvasseries sans ordre et sans cou-