Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/188

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qu’il s’en doutât lui-même, dans un rouage de mon existence, et, pour expliquer l’alternative où il se trouvait entre son moi et le mien, je dois dire ici ce qui se passait en lui.

Frumence, à force de lire les anciens et de vivre loin des modernes, était un vrai stoïcien. Il manquait à cet excellent esprit la notion du monde d’action et de relation où il n’avait pas trouvé sa place. Frumence, j’étais bien loin de m’en douter, ne croyait pas à une autre vie, et Dieu lui apparaissait comme une grande loi existant par elle-même et pour elle-même, créant et broyant, sans amour et sans haine, les choses et les êtres soumis à son activité dévorante. Puisque tout passe si vite et sans retour, s’était-il dit, à quoi bon s’agiter dans ce peu de liberté et d’initiative accordé à l’homme ? Que chacun obéisse à son impulsion et goûte la petite part de satisfaction qui lui est échue ! Puis il s’était examiné naïvement lui-même, et il avait reconnu que ce système d’égoïsme était assujetti à des instincts de dévouement qu’il lui serait difficile de combattre ; il s’était donc promis de ne pas les combattre du tout. Il aimait avant tout son père adoptif, et il était résolu à vivre entièrement pour lui, à travailler pour lui lucrativement, s’il lui fallait du bien-être ; misérablement, s’il ne lui fallait que le nécessaire.