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encore très-discutée il y a dix ans[1], et elle n’avait pas pénétré au fond de nos montagnes ; Frumence n’était donc pas très-excentrique en taillant encore sa vie sur le patron d’Épictète ou de Socrate.

Satisfait de ce parti pris, qui ressemblait à de l’apathie sans en être, on a vu qu’il avait beaucoup hésité à se charger de mon éducation et de celle de mon cousin. La circonstance exceptionnelle qui lui avait permis d’être à la fois chez nous et chez lui l’avait décidé à faire ce qu’il appelait sa fortune, c’est-à-dire à gagner six cents francs par an durant trois ans et demi ; avec ce trésor, qu’il avait placé dans une vieille boîte à sel suspendue à la tête du lit de son oncle, auprès de l’effigie de Jésus le stoïcien, Frumence ne s’inquiétait plus de rien dans l’univers. Son oncle pouvait être malade ou infirme, il y avait là de quoi le soigner. Il n’en avait distrait que le strict nécessaire pour se vêtir en paysan, ou peu s’en faut, et se conserver propre.

Il était donc heureux, sauf une peine secrète qu’il savait combattre et cacher, son attachement pour Jennie, pour moi et pour ma grand’mère, et même pour Marius. Il n’avait pu vivre avec nous sans s’attacher à nous, et il se reprochait cette

  1. Il ne faut pas oublier que Lucienne écrit en 1828.