Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/203

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

l’aimer, non à cause de sa pauvreté et de sa naissance, j’étais trop héroïne de roman et trop philosophe de l’antiquité pour m’arrêter à ces misères, mais, parce que, moi aussi, j’étais une âme stoïque, planant au-dessus des choses humaines, Frumence l’avait bien compris. J’étais l’idéal insaisissable ! Répondre à un amour terrestre, moi, le bien suprême ? Allons donc ! Je ne pouvais descendre du piédestal où je me trouvais perchée et où je faisais si bonne figure. Je décrétai donc que je n’aimerais pas, que Frumence m’avait bien jugée, que j’étais trop supérieure à l’amour pour jamais le connaître, enfin que, l’amitié fraternelle étant seule digne de moi, je devais plaindre Frumence et m’efforcer de le guérir d’un trouble funeste, le ramener à la foi, et par là le sauver du désespoir sans cesser d’être l’objet de son admiration.

En conséquence, je me mis en route, le dimanche suivant, avec un calme rempli de mansuétude. Je maintins mon cheval au pas ; ses vives allures eussent dérangé ma gravité. Je devais apparaître digne et souriante à mon malheureux ami. L’occupation où je le surpris n’était pas précisément celle d’un martyr de l’amour. Il était debout, traçant avec de la craie sur le mur extérieur de la sacristie les figures d’un problème de mathématiques. De son autre main, il tenait, sans en avoir