Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/222

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france. Je jouais à mon insu un jeu de grande coquette, un jeu à me perdre, si Frumence n’eût été le plus sage et le meilleur des hommes.

Ne le voyant presque plus, j’imaginai de lui écrire sous prétexte de le consulter sur mes études. J’éprouvais le besoin d’essayer mon style et de parler de moi à un esprit prosterné devant le mien. Je me mis donc, moi aussi, à écrire des pages de rêveries et de réflexions et à les glisser dans mes cahiers, comme par mégarde ; mais je reconnus que ce serait trop naïf, tout en étant très-hypocrite, et je m’adressai franchement à lui en le priant de résoudre mes doutes. À propos des amours illustres ou des renoncements austères de l’histoire, je tâchais de l’entraîner dans des subtilités de psychologie ou de sentiment où je m’égarais moi-même. Je lui posais des problèmes, je lui soulignais des citations, j’appelais sa méditation sur des niaiseries solennelles, ou sur des problèmes insolubles de lui à moi. J’y portais une hardiesse inouïe et une candeur étonnante ; car Jennie avait su me garder chaste comme elle-même, et il n’est aucune de mes inquiétudes de cœur qu’elle n’eût pu guérir par son sens droit et délicat, si j’eusse daigné l’interroger ; mais j’avais l’ingrat caprice de ne plus vouloir d’elle pour mon guide immédiat, et peut-être aussi aurais-je rougi devant elle, si