Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/24

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les yeux de ma grand’mère, qui faisait de la tapisserie dans le salon du rez-de-chaussée, en feignant de ne pas me regarder. La pauvre Denise, qui m’adorait et que je ne pouvais pas souffrir, m’apportait en silence des friandises qu’elle posait sur les marches du jardin ou sur les bords de la rocaille où coulait une eau de source. Je ne voulais rien accepter de la main de ma nourrice ; j’attendais qu’on ne me vît pas pour m’en emparer. Je ne voulais dire bonjour et merci à personne. Je me cachais pour jouer avec ma poupée qui me semblait pourtant merveilleuse, ceci, je m’en souviens ; mais, dès qu’on me regardait, je la posais à terre, je tournais le nez vers la muraille, et je restais là immobile jusqu’à ce qu’on se fût éloigné. J’ai un instinct confus d’avoir été méchante ainsi par douleur. Probablement je sentais dans mon cœur (les griefs que je ne savais pas formuler. Je dois avoir été blessée surtout de l’abandon de celle que j’appelais intérieurement ma mère ; peut-être aussi savais-je déjà exprimer mes plaintes à ce sujet, car on m’a dit que je parlais quelquefois toute seule dans cette langue que personne n’entendait.

— Sans cela, m’a dit depuis la nourrice, on vous aurait crue muette.

Peut-être aussi étais-je sauvagement intimidée