Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/51

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soulevait en moi des orages sans explosion marquée. De là beaucoup de développement dans le sens de la rêverie, beaucoup de stagnation dans celui de la réflexion.

Bellombre est un ancien marquisat provenant d’une famille aujourd’hui éteinte. Le mari de ma grand’mère, bon gentilhomme de Provence et officier de marine distingué, avait acheté ce manoir avant la Révolution, et sa veuve ne l’avait plus quitté. Elle s’était mariée tard, et avait perdu son mari peu d’années après. Elle avait donc vécu seule la majeure partie de son âge, et, son fils l’ayant quittée à seize ans pour l’émigration, elle vivait depuis quinze ans plus seule que jamais quand elle me trouva et concentra sur moi toutes ses affections. L’habitude d’une existence solitaire, nonchalante et résignée, lui avait fait contracter un certain isolement de la pensée qui la rendait peu communicative. Sa délicate santé était une autre cause de goûts sédentaires, et, avec le cœur le plus tendre et le plus dévoué qui fut jamais, elle laissait régner entre elle et les objets de son amour une sorte de vide indéfinissable. Elle parlait peu, et à soixante et dix ans elle avait encore des timidités étranges. N’ayant, comme la plupart des filles nobles de son temps et de son pays, reçu aucune instruction, elle abordait avec réserve beaucoup