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Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 2.djvu/314

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— Vous sentez, me dit-il, que vous m’aviez mal jugé. Vous m’avez fait cruellement souffrir, Lucienne ; mais jusqu’à un certain point je le méritais ; car, si je n’avais pas de torts envers vous, j’en avais beaucoup envers moi-même, et ma vie, légère à bien des égards, méritait une expiation. Vous me l’avez reprochée souvent, cette légèreté, sans la bien comprendre et sans pouvoir la définir. Il faut que je m’en confesse, afin de pouvoir aussi m’en justifier un peu.

« J’ai été élevé d’une façon déplorable. Resté seul, assez frêle de corps, de plusieurs enfants adorés, j’ai été gâté par mes parents à ce point que j’ai cru longtemps que le monde, l’univers, la vie, étaient faits pour moi, pour mon plaisir, pour me porter, me distraire et me combler de biens. J’étais intelligent, je fus sauvé par l’amour du travail et préservé du vice par un peu d’orgueil ; mais je restai avide d’émotions et sujet à l’ennui, qui est le grand mal anglais, quand mon existence ne débordait pas d’agitations dans tous les sens. J’ai donc mal vécu en somme, mal compris la vie, mal disposé de mon temps, mal usé de mon cœur. Je me suis toujours fait tromper en amour, et je ne m’en prends ni à l’amour ni aux femmes, mais à ma précipitation, à mon aveuglement, à mes nerfs, que je reconnais avoir