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consuelo.

lui offrant de suspendre ses propres débuts. Cette nouvelle était un coup de poignard, et la pensée de ne plus revoir celui qu’elle avait tant aimé ne pouvait entrer dans son esprit.

« Ah ! c’est un mauvais rêve, s’écria-t-elle ; il faut que j’aille le trouver et qu’il m’explique cette vision. Il ne peut pas suivre cette femme, ce serait sa perte. Je ne peux pas, moi, l’y laisser courir ; je le retiendrai, je lui ferai comprendre ses véritables intérêts, s’il est vrai qu’il ne comprenne plus autre chose… Venez avec moi, mon cher maître, ne l’abandonnons pas ainsi…

— Je t’abandonnerais, moi, et pour toujours, s’écria le Porpora indigné, si tu commettais une pareille lâcheté. Implorer ce misérable, le disputer à une Corilla ? Ah ! sainte Cécile, méfie-toi de ton origine bohémienne, et songe à en étouffer les instincts aveugles et vagabonds. Allons, suis-moi : on t’attend pour répéter. Tu auras, malgré toi, un certain plaisir ce soir à chanter avec un maître comme Stefanini. Tu verras un artiste savant, modeste et généreux. »

Il la traîna au théâtre, et là, pour la première fois, elle sentit l’horreur de cette vie d’artiste, enchaînée aux exigences du public, condamnée à étouffer ses sentiments et à refouler ses émotions pour obéir aux sentiments et flatter les émotions d’autrui. Cette répétition, ensuite la toilette, et la représentation du soir furent un supplice atroce. Anzoleto ne parut pas. Le surlendemain il fallait débuter dans un opéra-bouffe de Galuppi : Arcifanfano re de’ matti. On avait choisi cette farce pour plaire à Stefanini, qui y était d’un comique excellent. Il fallut que Consuelo s’évertuât à faire rire ceux qu’elle avait fait pleurer. Elle fut brillante, charmante, plaisante au dernier point avec la mort dans l’âme. Deux ou trois fois des sanglots remplirent sa poitrine et s’exhalèrent en une