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consuelo.

Rudolstadt, répandit, dès ce premier jour, une sainte sérénité sur ses paroles, sur ses actions, et sur son visage. Qui l’eût vue naguère resplendissante d’amour et de joie au soleil de Venise, n’eût pas compris aisément comment elle pouvait être tout à coup tranquille et affectueuse au milieu d’inconnus, au fond des sombres forêts, avec son amour flétri dans le passé et ruiné dans l’avenir. C’est que la bonté trouve la force, là où l’orgueil ne rencontrerait que le désespoir. Consuelo fut belle ce soir-là, d’une beauté qui ne s’était pas encore manifestée en elle. Ce n’était plus ni l’engourdissement d’une grande nature qui s’ignore elle-même et qui attend son réveil, ni l’épanouissement d’une puissance qui prend l’essor avec surprise et ravissement. Ce n’était donc plus ni la beauté voilée et incompréhensible de la scolare zingarella, ni la beauté splendide et saisissante de la cantatrice couronnée ; c’était le charme pénétrant et suave de la femme pure et recueillie qui se connaît elle-même et se gouverne par la sainteté de sa propre impulsion.

Ses vieux hôtes, simples et affectueux, n’eurent pas besoin d’autre lumière que celle de leur généreux instinct pour aspirer, si je puis ainsi dire, le parfum mystérieux qu’exhalait dans leur atmosphère intellectuelle l’âme angélique de Consuelo. Ils éprouvèrent, en la regardant, un bien-être moral dont ils ne se rendirent pas bien compte, mais dont la douceur les remplit comme d’une vie nouvelle. Albert lui-même semblait jouir pour la première fois de ses facultés avec plénitude et liberté. Il était prévenant et affectueux avec tout le monde : il l’était avec Consuelo dans la mesure convenable, et il lui parla à plusieurs reprises de manière à prouver qu’il n’abdiquait pas, ainsi qu’on l’avait cru jusqu’alors, l’esprit élevé et le jugement lumineux que la nature lui avait donnés. Le baron ne s’endormit pas, la chanoi-