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consuelo.

nesse ne soupira pas une seule fois ; et le comte Christian, qui avait l’habitude de s’affaisser mélancoliquement le soir dans son fauteuil sous le poids de la vieillesse et du chagrin, resta debout le dos à la cheminée comme au centre de sa famille, et prenant part à l’entretien aisé et presque enjoué qui dura sans tomber jusqu’à neuf heures du soir.

« Dieu semble avoir exaucé enfin nos ardentes prières, dit le chapelain au comte Christian et à la chanoinesse, restés les derniers au salon, après le départ du baron et des jeunes gens. Le comte Albert est entré aujourd’hui dans sa trentième année, et ce jour solennel, dont l’attente avait toujours si vivement frappé son imagination et la nôtre, s’est écoulé avec un calme et un bonheur inconcevables.

— Oui, rendons grâces à Dieu ! dit le vieux comte. Je ne sais si c’est un songe bienfaisant qu’il nous envoie pour nous soulager un instant ; mais je me suis persuadé durant toute cette journée, et ce soir particulièrement, que mon fils était guéri pour toujours.

— Mon frère, dit la chanoinesse, je vous en demande pardon ainsi qu’à vous, monsieur le chapelain, qui avez toujours cru Albert tourmenté par l’ennemi du genre humain. Moi je l’ai toujours cru aux prises avec deux puissances contraires qui se disputaient sa pauvre âme ; car bien souvent lorsqu’il semblait répéter les discours du mauvais ange, le ciel parlait par sa bouche un instant après. Rappelez-vous maintenant tout ce qu’il disait hier soir durant l’orage et ses dernières paroles en nous quittant : « La paix du Seigneur est descendue sur cette maison. » Albert sentait s’accomplir en lui un miracle de la grâce, et j’ai foi à sa guérison comme à la promesse divine. »

Le chapelain était trop timoré pour accepter d’emblée