Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 1.djvu/283

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
275
consuelo.

de la forêt me l’ont répété chaque fois que je les ai interrogées. Un ange voltige souvent, et me montre sa face pâle et lumineuse au-dessus de la pierre d’épouvante ; à cet endroit sinistre, sous l’ombrage de ce chêne, où, lorsque les hommes mes contemporains m’appelaient Ziska, je fus transporté de la colère du Seigneur, et devins pour la première fois l’instrument de ses vengeances ; au pied de cette roche où, lorsque je m’appelais Wratislaw, je vis rouler d’un coup de sabre la tête mutilée et défigurée de mon père Withold, redoutable expiation qui m’apprit ce que c’est que la douleur et la pitié, jour de rémunération fatale, où le sang luthérien lava le sang catholique, et qui fit de moi un homme faible et tendre, au lieu d’un homme de fanatisme et de destruction que j’avais été cent ans auparavant…

« — Bonté divine, s’écria ma tante en se signant, voilà sa folie qui le reprend !

« — Ne le contrariez point, ma sœur, dit le comte Christian en faisant un grand effort sur lui-même ; laissez-le s’expliquer. Parle, mon fils, qu’est-ce que l’ange t’a dit sur la pierre d’épouvante ?

« — Il m’a dit que ma consolation était proche, répondit Albert avec un visage rayonnant d’enthousiasme, et qu’elle descendrait dans mon cœur lorsque j’aurais accompli ma vingt-neuvième année.

« Mon oncle laissa retomber sa tête sur son sein. Albert semblait faire allusion à sa mort en désignant l’âge où sa mère était morte, et il paraît qu’elle avait souvent prédit, durant sa maladie, que ni elle ni ses fils n’atteindraient l’âge de trente ans. Il paraît que ma tante Wanda était aussi un peu illuminée pour ne rien dire de plus ; mais je n’ai jamais pu rien savoir de précis à cet égard. C’est un souvenir trop douloureux pour mon oncle, et personne n’ose le réveiller autour de lui.