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consuelo.

« Anzoleto, dit-il en souriant et en tirant l’oreille de son protégé un peu fort, ici se bornera ma vengeance. Elle n’a pas été aussi loin à beaucoup près que votre délit. Mais aussi je ne fais pas de comparaison entre le plaisir d’entretenir honnêtement votre maîtresse un quart d’heure en présence de dix personnes, et celui que vous avez goûté tête à tête avec la mienne dans une gondole bien fermée.

— Seigneur comte, s’écria Anzoleto, violemment agité, je proteste sur mon honneur…

— Où est-il, votre honneur ? reprit le comte, est-il dans votre oreille gauche ? » Et en même temps il menaçait cette malheureuse oreille d’une leçon pareille à celle que l’autre venait de recevoir.

« Accordez-vous donc assez peu de finesse à votre protégé, dit Anzoleto, reprenant sa présence d’esprit, pour ne pas savoir qu’il n’aurait jamais commis une pareille balourdise ?

— Commise ou non, répondit sèchement le comte, c’est la chose du monde la plus indifférente pour moi en ce moment. » Et il alla s’asseoir auprès de Consuelo.

XII.

La dissertation musicale se prolongea jusque dans le salon du palais Zustiniani, où l’on rentra vers minuit pour prendre le chocolat et les sorbets. Du technique de l’art on était passé au style, aux idées, aux formes anciennes et modernes, enfin à l’expression, et de là aux artistes, et à leurs différentes manières de sentir et d’exprimer. Le Porpora parlait avec admiration de son maître Scarlatti, le premier qui eût imprimé un caractère pathétique aux compositions religieuses. Mais il s’arrêtait là, et ne voulait pas que la musique sacrée empiétât sur le