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consuelo.

il ne voulait pas se montrer tant qu’il ne sentait pas ses rapports avec lui entièrement rétablis. Ce souvenir de la vie actuelle et positive, nous l’avons tous, lorsque les rêves d’un sommeil pénible nous jettent dans la vie des fictions et du délire. Nous nous débattons parfois contre ces chimères et ces terreurs de la nuit, tout en nous disant qu’elles sont l’effet du cauchemar, et en faisant des efforts pour nous réveiller ; mais un pouvoir ennemi semble nous saisir à plusieurs reprises, et nous replonger dans cette horrible léthargie, où des spectacles toujours plus lugubres et des douleurs toujours plus poignantes nous assiègent et nous torturent.

C’est dans une alternative analogue que s’écoulait la vie puissante et misérable de cet homme incompris, qu’une tendresse active, délicate, et intelligente, pouvait seule sauver de ses propres détresses. Cette tendresse s’était enfin manifestée dans son existence. Consuelo était vraiment l’âme candide qui semblait avoir été formée pour trouver le difficile accès de cette âme sombre et jusque là fermée à toute sympathie complète. Il y avait dans la sollicitude qu’un enthousiasme romanesque avait fait naître d’abord chez cette jeune fille, et dans l’amitié respectueuse que la reconnaissance lui inspirait depuis sa maladie, quelque chose de suave et de touchant que Dieu, sans doute, savait particulièrement propre à la guérison d’Albert. Il est fort probable que si Consuelo, oublieuse du passé, eût partagé l’ardeur de sa passion, des transports si nouveaux dans sa vie, et une joie si subite, l’eussent exalté de la manière la plus funeste. L’amitié discrète et chaste qu’elle lui portait devait avoir pour son salut des effets plus lents, mais plus sûrs. C’était un frein en même temps qu’un bienfait ; et s’il y avait une sorte d’ivresse dans le cœur renouvelé de ce jeune homme, il s’y mêlait une idée de devoir et