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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/112

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consuelo.

C’était lui donner l’ordre et le signal. Elle pensa, non sans douleur et sans effroi, que le moment était venu de parler ; et, fermant les yeux comme une personne qui se jette par la fenêtre pour échapper à l’incendie, elle commença ainsi en balbutiant et en devenant plus pâle que de coutume :

« Certainement Albert chérit tendrement son père, et il ne voudrait pas lui causer un chagrin mortel… »

Albert leva la tête, et regarda sa tante avec des yeux si clairs et si pénétrants, qu’elle fut toute décontenancée, et n’en put dire davantage. Le vieux comte parut ne pas avoir entendu cette réflexion bizarre, et, dans le silence qui suivit, la pauvre Wenceslawa resta tremblante sous le regard de son neveu, comme la perdrix sous l’arrêt du chien qui la fascine et l’enchaîne.

Mais le comte Christian, sortant de sa rêverie au bout de quelques instants, répondit à sa sœur comme si elle eût continué de parler, ou comme s’il eût pu lire dans son esprit les révélations qu’elle voulait lui faire.

« Chère sœur, dit-il, si j’ai un conseil à vous donner, c’est de ne pas vous tourmenter de choses auxquelles vous n’entendez rien. Vous n’avez su de votre vie ce que c’était qu’une inclination de cœur, et l’austérité d’une chanoinesse n’est pas la règle qui convient à un jeune homme.

— Dieu vivant ! murmura la chanoinesse bouleversée, ou mon frère ne veut pas me comprendre, ou sa raison et sa piété l’abandonnent. Serait-il possible qu’il voulût encourager par sa faiblesse ou traiter légèrement…

— Quoi ? ma tante, dit Albert d’un ton ferme et avec une physionomie sévère. Parlez, puisque vous êtes condamnée à le faire. Formulez clairement votre pensée. Il faut que cette contrainte finisse, et que nous nous connaissions les uns les autres.