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consuelo.

sans y prendre garde ; et lorsque la chanoinesse le lui annonça, il se contenta de dire :

« Voici la seule chose spirituelle que la spirituelle Amélie ait su faire depuis qu’elle a mis le pied ici. Quant à mon bon oncle, j’espère qu’il ne sera pas longtemps sans nous revenir.

— Moi, je regrette mon frère, dit le vieux Christian, parce qu’à mon âge on compte par semaines et par jours. Ce qui ne vous paraît pas longtemps, Albert, peut être pour moi l’éternité, et je ne suis pas aussi sûr que vous de revoir mon pacifique et insouciant Frédérick. Allons ! Amélie l’a voulu, ajouta-t-il en repliant et jetant de côté avec un sourire la lettre singulièrement cajoleuse et méchante que la jeune baronne lui avait laissée : rancune de femme ne pardonne pas. Vous n’étiez pas nés l’un pour l’autre, mes enfants, et mes doux rêves se sont envolés ! »

En parlant ainsi, le vieux comte regardait son fils avec une sorte d’enjouement mélancolique, comme pour surprendre quelque trace de regret dans ses yeux. Mais il n’en trouva aucune ; et Albert, en lui pressant le bras avec tendresse, lui fit comprendre qu’il le remerciait de renoncer à des projets si contraires à son inclination.

« Que ta volonté soit faite, mon Dieu, reprit le vieillard, et que ton cœur soit libre, mon fils ! Tu te portes bien, tu parais calme et heureux désormais parmi nous. Je mourrai consolé, et la reconnaissance de ton père te portera bonheur après notre séparation.

— Ne parlez pas de séparation, mon père ! s’écria le jeune comte, dont les yeux se remplirent subitement de larmes. Je n’ai pas la force de supporter cette idée. »

La chanoinesse, qui commençait à s’attendrir, fut aiguillonnée en cet instant par un regard du chapelain, qui se leva et sortit du salon avec une discrétion affectée.