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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/115

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consuelo.

limpide depuis le jour où il l’avait remontée portant Consuelo dans ses bras. Plongé dans une morne rêverie, il maudissait presque le serment qu’il avait fait de ne plus retourner à son ermitage. Il s’effrayait de se sentir malheureux, et de ne pouvoir ensevelir le secret de sa douleur dans les entrailles de la terre.

L’altération de ses traits, après ces insomnies, le retour passager, mais de plus en plus fréquent, de son air sombre et distrait, ne pouvaient manquer de frapper ses parents et son amie. Mais celle-ci avait trouvé le moyen de dissiper ces nuages, et de reprendre son empire chaque fois qu’elle était menacée de le perdre. Elle se mettait à chanter ; et aussitôt le jeune comte, charmé ou subjugué, se soulageait par des pleurs, ou s’animait d’un nouvel enthousiasme. Ce remède était infaillible, et, quand il pouvait lui dire quelques mots à la dérobée :

« Consuelo, s’écriait-il, tu connais le chemin de mon âme. Tu possèdes la puissance refusée au vulgaire, et tu la possèdes plus qu’aucun être vivant en ce monde. Tu parles le langage divin, tu sais exprimer les sentiments les plus sublimes, et communiquer les émotions puissantes de ton âme inspirée. Chante donc toujours quand tu me vois succomber. Les paroles que tu prononces dans tes chants ont peu de sens pour moi ; elles ne sont qu’un thème abrégé, une indication incomplète, sur lesquels la pensée musicale s’exerce et se développe. Je les écoute à peine ; ce que j’entends, ce qui pénètre au fond de mon cœur, c’est ta voix, c’est ton accent, c’est ton inspiration. La musique dit tout ce que l’âme rêve et pressent de plus mystérieux et de plus élevé. C’est la manifestation d’un ordre d’idées et de sentiments supérieurs à ce que la parole humaine pourrait exprimer. C’est la révélation de l’infini ; et, quand tu chantes, je n’appartiens