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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/119

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consuelo.

mes doigts deviendront aussi incertains que ceux d’un enfant qui essaie ses premières notes.

— Je ne suis pas indigne, répondit Consuelo attentive et pénétrée, de comprendre votre manière d’envisager la musique. J’espère bien pouvoir m’associer à votre prière avec une âme assez recueillie et assez fervente pour que ma présence ne refroidisse pas votre inspiration. Ah ! pourquoi mon maître Porpora ne peut-il entendre ce que vous dites sur l’art sacré, mon cher Albert ! il serait à vos genoux. Et pourtant ce grand artiste lui-même ne pousse pas la rigidité aussi loin que vous, et il croit que le chanteur et le virtuose doivent puiser le souffle qui les anime dans la sympathie et l’admiration de l’auditoire qui les écoute.

— C’est peut-être que le Porpora, quoi qu’il en dise, confond en musique le sentiment religieux avec la pensée humaine ; c’est peut-être aussi qu’il entend la musique sacrée en catholique ; et si j’étais à son point de vue, je raisonnerais comme lui. Si j’étais en communion de foi et de sympathie avec un peuple professant un culte qui serait le mien, je chercherais, dans le contact de ces âmes animées du même sentiment religieux que moi, une inspiration que jusqu’ici j’ai été forcé de chercher dans la solitude, et que par conséquent j’ai imparfaitement rencontrée. Si j’ai jamais le bonheur d’unir, dans une prière selon mon cœur, ta voix divine, Consuelo, aux accents de mon violon, sans aucun doute je m’élèverai plus haut que je n’ai jamais fait, et ma prière sera plus digne de la Divinité. Mais n’oublie pas, chère enfant, que jusqu’ici mes croyances ont été abominables à tous les êtres qui m’environnent ; ceux qu’elles n’auraient pas scandalisés en auraient fait un sujet de moquerie. Voilà pourquoi j’ai caché, comme un secret entre Dieu, le pauvre Zdenko, et moi, le faible don que je possède.