Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/129

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
117
consuelo.

ses détours et à pénétrer ses mystères. Et puis ce chemin, c’est le passage de l’humanité, c’est la route de l’univers. Il n’appartient pas à un maître qui puisse le fermer ou l’ouvrir à son gré. Ce n’est pas seulement le puissant et le riche qui ont le droit de fouler ses marges fleuries et de respirer ses sauvages parfums. Tout oiseau peut suspendre son nid à ses branches, tout vagabond peut reposer sa tête sur ses pierres. Devant lui, un mur ou une palissade ne ferme point l’horizon. Le ciel ne finit pas devant lui ; et tant que la vue peut s’étendre, le chemin est une terre de liberté. À droite, à gauche, les champs, les bois appartiennent à des maîtres ; le chemin appartient à celui qui ne possède pas autre chose ; aussi comme il l’aime ! Le plus grossier mendiant a pour lui un amour invincible. Qu’on lui bâtisse des hôpitaux aussi riches que des palais, ce seront toujours des prisons ; sa poésie, son rêve, sa passion, ce sera toujours le grand chemin ! Ô ma mère ! ma mère ! tu le savais bien ; tu me l’avais bien dit ! Que ne puis-je ranimer ta cendre, qui dort si loin de moi sous l’algue des lagunes ! Que ne peux-tu me reprendre sur tes fortes épaules et me porter là-bas, là-bas où vole l’hirondelle vers les collines bleues, où le souvenir du passé et le regret du bonheur perdu ne peuvent suivre l’artiste aux pieds légers qui voyage plus vite qu’eux, et met chaque jour un nouvel horizon, un nouveau monde entre lui et les ennemis de sa liberté ! Pauvre mère ! que ne peux-tu encore me chérir et m’opprimer, m’accabler tour à tour de baisers et de coups, comme le vent qui tantôt caresse et tantôt renverse les jeunes blés sur la plaine, pour les relever et les coucher encore à sa fantaisie ! Tu étais une âme mieux trempée que la mienne, et tu m’aurais arrachée, de gré ou de force, aux liens où je me laisse prendre à chaque pas !

Au milieu de sa rêverie enivrante et douloureuse,