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consuelo.

Consuelo fut frappée par le son d’une voix qui la fit tressaillir comme si un fer rouge se fût posé sur son cœur. C’était une voix d’homme, qui partait du ravin assez loin au-dessous d’elle, et fredonnait en dialecte vénitien le chant de l’Écho, l’une des plus originales compositions du Chiozzetto[1]. La personne qui chantait ne donnait pas toute sa voix, et sa respiration semblait entrecoupée par la marche. Elle lançait une phrase au hasard, comme si elle eût voulu se distraire de l’ennui du chemin, et s’interrompait pour parler avec une autre personne ; puis elle reprenait sa chanson, répétant plusieurs fois la même modulation comme pour s’exercer, et recommençait à parler, en se rapprochant toujours du lieu où Consuelo, immobile et palpitante, se sentait défaillir. Elle ne pouvait entendre les discours du voyageur à son compagnon, il était encore trop loin d’elle. Elle ne pouvait le voir, un rocher en saillie l’empêchait de plonger dans la partie du ravin où il était engagé. Mais pouvait-elle méconnaître un instant cette voix, cet accent qu’elle connaissait si bien, et les fragments de ce morceau qu’elle-même avait enseigné et fait répéter tant de fois à son ingrat élève !

Enfin les deux voyageurs invisibles s’étant rapprochés, elle entendit l’un des deux, dont la voix lui était inconnue, dire à l’autre en mauvais italien et avec l’accent du pays :

« Eh ! eh ! signor, ne montez pas par ici, les chevaux ne pourraient pas vous y suivre, et vous me perdriez de vue ; suivez-moi le long du torrent. Voyez ! la route est devant nous, et l’endroit que vous prenez est un sentier pour les piétons. »

La voix que Consuelo connaissait si bien parut s’éloi-

  1. Jean Croce, de Chioggia, seizième siècle.