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consuelo.

élément de connaissance élevée, animèrent Rudolstadt d’une conviction toujours plus profonde, et son éloquence devint saisissante. Consuelo, après quelques questions et quelques objections auxquelles il sut répondre heureusement, ne songea plus tant à satisfaire sa curiosité naturelle pour les idées, qu’à jouir de l’espèce d’enivrement d’admiration que lui causait Albert. Elle oublia tout ce qui l’avait émue dans la journée, et Anzoleto, et Zdenko, et les ossements qu’elle avait devant les yeux. Une sorte de fascination s’empara d’elle ; et le lieu pittoresque où elle se trouvait, avec ses cyprès, ses rochers terribles, et son autel lugubre, lui parut, à la lueur mouvante des torches, une sorte d’Élysée magique où se promenaient d’augustes et solennelles apparitions. Elle tomba, quoique bien éveillée, dans une espèce de somnolence de ces facultés d’examen qu’elle avait tenues un peu trop tendues pour son organisation poétique. N’entendant plus ce que lui disait Albert, mais plongée dans une extase délicieuse, elle s’attendrit à l’idée de ce Satan qu’il lui avait montré comme une grande idée méconnue, et que son imagination d’artiste reconstruisait comme une belle figure pâle et douloureuse, sœur de celle du Christ, et doucement penchée vers elle la fille du peuple et l’enfant proscrit de la famille universelle. Tout à coup elle s’aperçut qu’Albert ne lui parlait plus, qu’il ne tenait plus sa main, qu’il n’était plus assis à ses côtés, mais qu’il était debout à deux pas d’elle, auprès de l’ossuaire, et qu’il jouait sur son violon l’étrange musique dont elle avait été déjà surprise et charmée.

LV.

Albert fit chanter d’abord à son instrument plusieurs