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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/16

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consuelo.

courir ainsi pâle et comme poursuivie, lui demanda si elle avait rencontré un loup.

Consuelo, voulant savoir si Zdenko était sujet à des accès de démence furieuse, lui dit qu’elle avait rencontré l’innocent, et qu’il l’avait effrayée.

« Vous ne devez pas avoir peur de l’innocent, répondit le paysan en souriant de ce qu’il prenait pour une pusillanimité de petite maîtresse. Zdenko n’est pas méchant : toujours il rit, ou il chante, ou il raconte des histoires que l’on ne comprend pas et qui sont bien belles.

— Mais il se fâche quelquefois, et alors il menace et il jette des pierres ?

— Jamais, jamais, répondit le paysan ; cela n’est jamais arrivé et n’arrivera jamais. Il ne faut point avoir peur de Zdenko, Zdenko est innocent comme un ange. »

Quand elle fut remise de son trouble, Consuelo reconnut que ce paysan devait avoir raison, et qu’elle venait de provoquer, par une parole imprudente, le premier, le seul accès de fureur qu’eut jamais éprouvé l’innocent Zdenko. Elle se le reprocha amèrement. « J’ai été trop pressée, se dit-elle ; j’ai éveillé, dans l’âme paisible de cet homme privé de ce qu’on appelle fièrement la raison, une souffrance qu’il ne connaissait pas encore, et qui peut maintenant s’emparer de lui à la moindre occasion. Il n’était que maniaque, je l’ai peut-être rendu fou. »

Mais elle devint plus triste encore en pensant aux motifs de la colère de Zdenko. Il était bien certain désormais qu’elle avait deviné juste en plaçant la retraite d’Albert au Schreckenstein. Mais avec quel soin jaloux et ombrageux Albert et Zdenko voulaient cacher ce secret, même à elle ! Elle n’était donc pas exceptée de cette proscription, elle n’avait donc aucune influence sur le comte Albert ; et cette inspiration qu’il avait eue de la nommer sa consolation, ce soin de la faire appeler la