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gistrer ses productions ; il produit sans se reposer, comme la terre qu’il cultive ; il crée à toute heure, comme la nature qui l’inspire.

Consuelo avait dans le cœur tout ce qu’il faut y avoir de candeur, de poésie et de sensibilité, pour comprendre la musique populaire et pour l’aimer passionnément. En cela elle était grande artiste, et les théories savantes qu’elle avait approfondies n’avaient rien ôté à son génie de cette fraîcheur et de cette suavité qui est le trésor de l’inspiration et la jeunesse de l’âme. Elle avait dit quelquefois à Anzoleto, en cachette du Porpora, qu’elle aimait mieux certaines barcarolles des pêcheurs de l’Adriatique que toute la science de Padre Martini et de maestro Durante. Les boléros et les cantiques de sa mère étaient pour elle une source de vie poétique, où

    ment avec un de ces ménestrels ambulants la conversation suivante : « Vous avez appris un peu de musique ? — Certainement j’ai appris à jouer de la cornemuse à gros bourdon, et de la musette à clefs. — Où avez-vous pris des leçons ? — En Bourbonnais, dans les bois. — Quel était votre maître ? — Un homme des bois. — Vous connaissez donc les notes ? — Je crois bien ! — En quel ton jouez-vous là ? — En quel ton ? Qu’est-ce que cela veut dire ? — N’est-ce pas en que vous jouez ? — Je ne connais pas le . — Comment donc s’appellent vos notes ? — Elles s’appellent des notes ; elles n’ont pas de noms particuliers. — Comment retenez-vous tant d’airs différents ? — On écoute ! — Qui est-ce qui compose tous ces airs ? — Beaucoup de personnes, des fameux musiciens dans les bois. — Ils en font donc beaucoup ? — Ils en font toujours ; ils ne s’arrêtent jamais. — Ils ne font rien autre chose ? — Ils coupent le bois. — Ils sont bûcherons ? — Presque tous bûcherons. On dit chez nous que la musique pousse dans les bois. C’est toujours là qu’on la trouve. — Et c’est là que vous allez la chercher ? — Tous les ans. Les petits musiciens n’y vont pas. Ils écoutent ce qui vient par les chemins, et ils le redisent comme ils peuvent. Mais pour prendre l’accent véritable, il faut aller écouter les bûcherons du Bourbonnais. — Et comment cela leur vient-il ? — En se promenant dans les bois, en rentrant le soir à la maison, en se reposant le dimanche. — Et vous, composez-vous ? — Un peu, mais guère, et ça ne vaut pas grand-chose. Il faut être né dans les