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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/163

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consuelo.

lait qu’un instant pour m’y transporter et m’y faire vivre de toute la vie qui les anime. C’était l’essence de cette vie que je m’assimilais sous le prestige de la musique.

Peu à peu Consuelo cessa d’écouter et même d’entendre le violon d’Albert. Toute son âme était attentive ; et ses sens, fermés aux perceptions directes, s’éveillaient dans un autre monde, pour guider son esprit à travers des espaces inconnus habités par de nouveaux êtres. Elle voyait, dans un chaos étrange, à la fois horrible et magnifique, s’agiter les spectres des vieux héros de la Bohême ; elle entendait le glas funèbre de la cloche des couvents, tandis que les redoutables taborites descendaient du sommet de leurs monts fortifiés, maigres, demi-nus, sanglants et farouches. Puis elle voyait les anges de la mort se rassembler sur les nuages, le calice et le glaive à la main. Suspendus en troupe serrée sur la tête des pontifes prévaricateurs, elle les voyait verser sur la terre maudite la coupe de la colère divine. Elle croyait entendre le choc de leurs ailes pesantes, et le sang du Christ tomber en larges gouttes derrière eux pour éteindre l’embrasement allumé par leur fureur. Tantôt c’était une nuit d’épouvante et de ténèbres, où elle entendait gémir et râler les cadavres abandonnés sur les champs de bataille. Tantôt c’était un jour ardent dont elle osait soutenir l’éclat, et où elle voyait passer comme la foudre le redoutable aveugle sur son char, avec son casque rond, sa cuirasse rouillée, et le bandeau ensanglanté qui lui couvrait les yeux. Les temples s’ouvraient d’eux-mêmes à son approche ; les moines fuyaient dans le sein de la terre, emportant et cachant leurs reliques et leurs trésors dans les pans de leurs robes. Alors les vainqueurs apportaient des vieillards exténués, mendiants, couverts de plaies comme Lazare ; des fous accouraient en chantant et en riant comme Zdenko ; les bourreaux souillés