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d’un sang livide, les petits enfants aux mains pures, aux fronts angéliques, les femmes guerrières portant des faisceaux de piques et des torches de résine, tous s’asseyaient autour d’une table ; et un ange, radieux et beau comme ceux qu’Albert Durer a placés dans ses compositions apocalyptiques, venait offrir à leurs lèvres avides la coupe de bois, le calice du pardon, de la réhabilitation, et de la sainte égalité.

Cet ange reparaissait dans toutes les visions qui passèrent en cet instant devant les yeux de Consuelo. En le regardant bien, elle reconnut Satan, le plus beau des immortels après Dieu, le plus triste après Jésus, le plus fier parmi les plus fiers. Il traînait après lui les chaînes qu’il avait brisées ; et ses ailes fauves, dépouillées et pendantes, portaient les traces de la violence et de la captivité. Il souriait douloureusement aux hommes souillés de crimes, et pressait les petits enfants sur son sein.

Tout à coup il sembla à Consuelo que le violon d’Albert parlait, et qu’il disait par la bouche de Satan : « Non, le Christ mon frère ne vous a pas aimés plus que je ne vous aime. Il est temps que vous me connaissiez, et qu’au lieu de m’appeler l’ennemi du genre humain, vous retrouviez en moi l’ami qui vous a soutenus dans la lutte. Je ne suis pas le démon, je suis l’archange de la révolte légitime et le patron des grandes luttes. Comme le Christ, je suis le Dieu du pauvre, du faible et de l’opprimé. Quand il vous promettait le règne de Dieu sur la terre, quand il vous annonçait son retour parmi vous, il voulait dire qu’après avoir subi la persécution, vous seriez récompensés, en conquérant avec lui et avec moi la liberté et le bonheur. C’est ensemble que nous devions revenir, et c’est ensemble que nous revenons, tellement unis l’un à l’autre que nous ne faisons plus qu’un. C’est lui, le divin principe, le Dieu de l’esprit, qui est des-