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consuelo.

Perdue dans ces rêveries sinistres, elle recevait d’une main tremblante et d’un air préoccupé les fleurs qu’Albert avait l’habitude de cueillir en chemin pour les lui donner ; car il savait qu’elle les aimait beaucoup. Elle ne pensa même pas à le quitter, pour rentrer seule au château et dissimuler le long tête-à-tête qu’ils avaient eu ensemble. Soit qu’Albert n’y songeât pas non plus, soit qu’il ne crût pas devoir feindre davantage avec sa famille, il ne l’en fit pas ressouvenir ; et ils se trouvèrent à l’entrée du château face à face avec la chanoinesse. Consuelo (et sans doute Albert aussi) vit pour la première fois la colère et le dédain enflammer les traits de cette femme, que la bonté de son cœur empêchait d’être laide ordinairement, malgré sa maigreur et sa difformité.

« Il est bien temps que vous rentriez, mademoiselle, dit-elle à la Porporina d’une voix tremblante et saccadée par l’indignation. Nous étions fort en peine du comte Albert. Son père, qui n’a pas voulu déjeuner sans lui, désirait avoir avec lui ce matin un entretien que vous avez jugé à propos de lui faire oublier ; et quant à vous, il y a dans le salon un petit jeune homme qui se dit votre frère, et qui vous attend avec une impatience peu polie. »

Après avoir dit ces paroles étranges, la pauvre Wenceslawa, effrayée de son courage, tourna le dos brusquement, et courut à sa chambre, où elle toussa et pleura pendant plus d’une heure.

LVII.

« Ma tante est dans une singulière disposition d’esprit, dit Albert à Consuelo en remontant avec elle l’escalier du perron. Je vous demande pardon pour elle, mon