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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/192

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consuelo.

frère. J’avais défendu qu’on m’interrompît, parce que j’avais, ce matin, des occupations inusitées ; et on m’a trop bien obéi en me laissant ignorer l’arrivée d’un hôte qui est pour moi, comme pour toute ma famille, le bienvenu dans cette maison. Soyez certain, monsieur, ajouta-t-il en s’adressant à Anzoleto, que je vois avec plaisir chez moi un aussi proche parent de notre bien-aimée Porporina. Je vous prie donc de rester ici et d’y passer tout le temps qui vous sera agréable. Je présume qu’après une longue séparation vous avez bien des choses à vous dire, et bien de la joie à vous trouver ensemble. J’espère que vous ne craindrez pas d’être indiscret, en goûtant à loisir un bonheur que je partage. »

Contre sa coutume, le vieux Christian parlait avec aisance à un inconnu. Depuis longtemps sa timidité s’était évanouie auprès de la douce Consuelo ; et, ce jour-là, son visage semblait éclairé d’un rayon de vie plus brillant qu’à l’ordinaire, comme ceux que le soleil épanche sur l’horizon à l’heure de son déclin. Anzoleto fut interdit devant cette sorte de majesté que la droiture et la sérénité de l’âme reflètent sur le front d’un vieillard respectable. Il savait courber le dos bien bas devant les grands seigneurs ; mais il les haïssait et les raillait intérieurement. Il n’avait eu que trop de sujets de les mépriser, dans le beau monde où il avait vécu depuis quelque temps. Jamais il n’avait vu encore une dignité si bien portée et une politesse aussi cordiale que celles du vieux châtelain de Riesenburg. Il se troubla en le remerciant, et se repentit presque d’avoir escroqué par une imposture l’accueil paternel qu’il en recevait. Il craignit surtout que Consuelo ne le dévoilât, en déclarant au comte qu’il n’était pas son frère. Il sentait que dans cet instant il n’eût pas été en son pouvoir de payer d’effronterie et de chercher à se venger.