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consuelo.

pour moi. Mais j’ignore si j’aurai longtemps cette puissance ; et d’ailleurs, quand même ce ne serait pas une intimité dangereuse pour un homme aussi exalté, je ne suis pas libre de consacrer mes jours à cette tâche glorieuse. Je ne m’appartiens pas !

— Ô ciel ! que dites-vous, Consuelo ? Vous ne m’avez donc pas compris ? Ou vous m’avez trompé en me disant que vous étiez libre, que vous n’aviez ni attachement de cœur, ni engagement, ni famille ?

— Mais, monseigneur, reprit Consuelo stupéfaite, j’ai un but, une vocation, un état. J’appartiens à l’art auquel je me suis consacrée dès mon enfance.

— Que dites-vous, grand Dieu ! Vous voulez retourner au théâtre ?

— Cela, je l’ignore, et j’ai dit la vérité en affirmant que mon désir ne m’y portait pas. Je n’ai encore éprouvé que d’horribles souffrances dans cette carrière orageuse ; mais je sens pourtant que je serais téméraire si je m’engageais à y renoncer. Ç’a été ma destinée, et peut-être ne peut-on pas se soustraire à l’avenir qu’on s’est tracé. Que je remonte sur les planches, ou que je donne des leçons et des concerts, je suis, je dois être cantatrice. À quoi serais-je bonne, d’ailleurs ? où trouverais-je de l’indépendance ? à quoi occuperais-je mon esprit rompu au travail, et avide de ce genre d’émotion ?

— Ô Consuelo, Consuelo ! s’écria le comte Christian avec douleur, tout ce que vous dites là est vrai ! Mais je pensais que vous aimiez mon fils, et je vois maintenant que vous ne l’aimez pas !

— Et si je venais à l’aimer avec la passion qu’il faudrait avoir pour renoncer à moi-même, que diriez-vous, monseigneur ? s’écria à son tour Consuelo impatientée. Vous jugez donc qu’il est absolument impossible à une femme de prendre de l’amour pour le comte Albert,