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consuelo.

formait son vêtement ! Et avec quelle vivacité ardente il l’avait louée ! avec quelle voluptueuse langueur il l’avait contemplée ! La chaste fille n’avait pas compris alors les tressaillements de son propre cœur. Elle ne voulait pas les comprendre encore, et cependant, elle les ressentait presque aussi violents, à l’idée de reparaître devant ses yeux. Elle s’impatientait contre elle-même, rougissait de honte et de dépit, s’efforçait de s’embellir pour Albert seul ; et pourtant elle cherchait la coiffure, le ruban, et jusqu’au regard qui plaisaient à Anzoleto. Hélas ! hélas ! se dit-elle en s’arrachant de son miroir lorsque sa toilette fut finie, il est donc vrai que je ne puis penser qu’à lui, et que le bonheur passé exerce sur moi un pouvoir plus entraînant que le mépris présent et les promesses d’un autre amour ! J’ai beau regarder l’avenir, sans lui il ne m’offre que terreur et désespoir. Mais que serait-ce donc avec lui ? Ne sais-je pas bien que les beaux jours de Venise ne peuvent revenir, que l’innocence n’habiterait plus avec nous, que l’âme d’Anzoleto est à jamais corrompue, que ses caresses m’aviliraient, et que ma vie serait empoisonnée à toute heure par la honte, la jalousie, la crainte et le regret ?

En s’interrogeant à cet égard avec sévérité, Consuelo reconnut qu’elle ne se faisait aucune illusion, et qu’elle n’avait pas la plus secrète émotion de désir pour Anzoleto. Elle ne l’aimait plus dans le présent, elle le redoutait et le haïssait presque dans un avenir où sa perversité ne pouvait qu’augmenter ; mais dans le passé elle le chérissait à un tel point que son âme et sa vie ne pouvaient s’en détacher. Il était désormais devant elle comme un portrait qui lui rappelait un être adoré et des jours de délices ; et, comme une veuve qui se cache de son nouvel époux pour regarder l’image du premier, elle sentait que le mort était plus vivant que l’autre dans son cœur.