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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/215

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consuelo.

LX.

Consuelo avait trop de jugement et d’élévation dans l’esprit pour ne pas savoir que des deux amours qu’elle inspirait, le plus vrai, le plus noble et le plus précieux, était sans aucune comparaison possible celui d’Albert. Aussi, lorsqu’elle se retrouva entre eux, elle crut d’abord avoir triomphé de son ennemi. Le profond regard d’Albert, qui semblait pénétrer jusqu’au fond de son âme, la pression lente et forte de sa main loyale, lui firent comprendre qu’il savait le résultat de son entretien avec Christian, et qu’il attendait son arrêt avec soumission et reconnaissance. En effet, Albert avait obtenu plus qu’il n’espérait, et cette irrésolution lui était douce auprès de ce qu’il avait craint, tant il était éloigné de l’outrecuidante fatuité d’Anzoleto. Ce dernier, au contraire, s’était armé de toute sa résolution. Devinant à peu près ce qui se passait autour de lui, il s’était déterminé à combattre pied à pied, dût-on le pousser par les épaules hors de la maison. Son attitude dégagée, son regard ironique et hardi, causèrent à Consuelo le plus profond dégoût ; et lorsqu’il s’approcha effrontément pour lui offrir la main, elle détourna la tête, et prit celle que lui tendait Albert pour se placer à table.

Comme à l’ordinaire, le jeune comte alla s’asseoir en face de Consuelo, et le vieux Christian la fit mettre à sa gauche, à la place qu’occupait autrefois Amélie, et qu’elle avait toujours occupée depuis. Mais, au lieu du chapelain qui était en possession de la gauche de Consuelo, la chanoinesse invita le prétendu frère à se mettre entre eux ; de sorte que les épigrammes amères d’Anzoleto purent arriver à voix basse à l’oreille de la jeune fille, et que ses irrévérentes saillies purent scandaliser comme