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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/218

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consuelo.

— Vous me faites beaucoup de bien, lui répondit Consuelo, et je vous remercie. »

Ils parlaient entre leurs dents ce dialecte rapide de Venise qui ne semble composé que de voyelles, et où l’ellipse est si fréquente que les italiens de Rome et de Florence ont eux-mêmes quelque peine à le comprendre à la première audition.

« Je conçois que tu me détestes dans ce moment-ci, reprit Anzoleto, et que tu te crois sûre de me haïr toujours. Mais tu ne m’échapperas pas pour cela.

— Vous vous êtes dévoilé trop tôt, dit Consuelo.

— Mais non trop tard, reprit Anzoleto. — Allons, padre mio benedetto, dit-il en s’adressant au chapelain, et en lui poussant le coude de manière à lui faire verser sur son rabat la moitié du vin qu’il portait à ses lèvres, buvez donc plus courageusement ce bon vin qui fait autant de bien au corps et à l’âme que celui de la sainte messe ! — Seigneur comte, dit-il au vieux Christian en lui tendant son verre, vous tenez là en réserve, du côté de votre cœur, un flacon de cristal jaune qui reluit comme le soleil. Je suis sûr que si j’avalais seulement une goutte du nectar qu’il contient, je serais changé en demi-dieu.

— Prenez garde, mon enfant, dit enfin le comte en posant sa main maigre chargée de bagues sur le col tailladé du flacon : le vin des vieillards ferme quelquefois la bouche aux jeunes gens.

— Tu enrages à en être jolie comme un lutin, dit Anzoleto en bon et clair italien à Consuelo, de manière à être entendu de tout le monde. Tu me rappelles la Diavolessa de Galuppi, que tu as si bien jouée à Venise l’an dernier. — Ah çà, seigneur comte, prétendez-vous garder bien longtemps ici ma sœur dans votre cage dorée, doublée de soie ? C’est un oiseau chanteur, je vous en