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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/219

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consuelo.

avertis, et l’oiseau qu’on prive de sa voix perd bientôt ses plumes. Elle est fort heureuse ici, je le conçois ; mais ce bon public qu’elle a frappé de vertige la redemande à grands cris là-bas. Et quant à moi, vous me donneriez votre nom, votre château, tout le vin de votre cave, et votre respectable chapelain par-dessus le marché, que je ne voudrais pas renoncer à mes quinquets, à mon cothurne, et à mes roulades.

— Vous êtes donc comédien aussi, vous ? dit la chanoinesse avec un dédain sec et froid.

— Comédien, baladin pour vous servir, illustrissima, répondit Anzoleto sans se déconcerter.

— A-t-il du talent ? demanda le vieux Christian à Consuelo avec une tranquillité pleine de douceur et de bienveillance.

— Aucun, répondit Consuelo en regardant son adversaire d’un air de pitié.

— Si cela est, tu t’accuses toi-même, dit Anzoleto ; car je suis ton élève. J’espère pourtant, continua-t-il en vénitien, que j’en aurai assez pour brouiller tes cartes.

— C’est à vous seul que vous ferez du mal, reprit Consuelo dans le même dialecte. Les mauvaises intentions souillent le cœur, et le vôtre perdra plus à tout cela que vous ne pouvez me faire perdre dans celui des autres.

— Je suis bien aise de voir que tu acceptes le défi. À l’œuvre donc, ma belle guerrière ! Vous avez beau baisser la visière de votre casque, je vois le dépit et la crainte briller dans vos yeux.

— Hélas ! vous n’y pouvez lire qu’un profond chagrin à cause de vous. Je croyais pouvoir oublier que je vous dois du mépris, et vous prenez à tâche de me le rappeler.

— Le mépris et l’amour vont souvent fort bien ensemble.

— Dans les âmes viles.