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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/225

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consuelo.

seau. Mais n’y a-t-il pas beaucoup de l’oiseau dans l’artiste, et ne faut-il pas aussi que l’homme boive un peu à cette coupe de la vie commune à tous les êtres, pour être complet et mener à bien le trésor de son intelligence ?

Consuelo chantait d’une voix toujours plus douce et plus touchante, en s’abandonnant par de vagues instincts aux distinctions que je viens de faire à sa place, trop longuement sans doute. Qu’on me le pardonne ! Sans cela comprendrait-on par quelle fatale mobilité de sentiment cette jeune fille si sage et si sincère, qui haïssait avec raison le perfide Anzoleto un quart d’heure auparavant, s’oublia au point d’écouter sa voix, d’effleurer sa chevelure, et de respirer son souffle avec une sorte de délice ? Le salon était trop vaste pour être jamais fort éclairé, on le sait déjà ; le jour baissait d’ailleurs. Le pupitre du clavecin, sur lequel Anzoleto avait laissé un grand cahier ouvert, cachait leurs têtes aux personnes assises à quelque distance ; et leurs têtes se rapprochaient l’une de l’autre de plus en plus. Anzoleto, n’accompagnant plus que d’une main, avait passé son autre bras autour du corps flexible de son amie, et l’attirait insensiblement contre le sien. Six mois d’indignation et de douleur s’étaient effacés comme un rêve de l’esprit de la jeune fille. Elle se croyait à Venise ; elle priait la Madone de bénir son amour pour le beau fiancé que lui avait donné sa mère, et qui priait avec elle, main contre main, cœur contre cœur. Albert était sorti sans qu’elle s’en aperçût, et l’air était plus léger, le crépuscule plus doux autour d’elle. Tout à coup elle sentit à la fin d’une strophe les lèvres ardentes de son premier fiancé sur les siennes. Elle retint un cri ; et, se penchant sur le clavier, elle fondit en larmes.

En ce moment le comte Albert rentra, entendit ses