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le nouvel écuyer-tranchant passer le reste de ses jours au château des Géants.

On remarqua qu’Anzoleto ne buvait que de l’eau ; et lorsque le chapelain, par échange de bons procédés, lui offrit du vin, il répondit assez haut pour être entendu :

« Mille grâces ! on ne m’y prendra plus. Votre beau vin est un perfide avec lequel je cherchais à m’étourdir tantôt. Maintenant, je n’ai plus de chagrins, et je reviens à l’eau, ma boisson habituelle et ma loyale amie. »

On prolongea la veillée un peu plus que de coutume. Anzoleto chanta encore ; et cette fois il chanta pour Consuelo. Il choisit les airs favoris de ses vieux auteurs, qu’elle lui avait appris elle-même ; et il les dit avec tout le soin, avec toute la pureté de goût et de délicatesse d’intention qu’elle avait coutume d’exiger de lui. C’était lui rappeler encore les plus chers et les plus purs souvenirs de son amour et de son art.

Au moment où l’on allait se séparer, il prit un instant favorable pour lui dire tout bas :

« Je sais où est ta chambre ; on m’en a donné une dans la même galerie. À minuit, je serai à genoux à ta porte, j’y resterai prosterné jusqu’au jour. Ne refuse pas de m’entendre un instant. Je ne veux pas reconquérir ton amour, je ne le mérite pas. Je sais que tu ne peux plus m’aimer, qu’un autre est heureux, et qu’il faut que je parte. Je partirai la mort dans l’âme, et le reste de ma vie est dévoué aux furies ! Mais ne me chasse pas sans m’avoir dit un mot de pitié, un mot d’adieu. Si tu n’y consens pas, je partirai dès la pointe du jour, et ce sera fait de moi pour jamais !

— Ne dites pas cela, Anzoleto. Nous devons nous quitter ici, nous dire un éternel adieu. Je vous pardonne, et je vous souhaite…

— Un bon voyage ! reprit-il avec ironie ; puis, repre-