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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/240

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consuelo.

nez ! Comptez sur moi, je vous l’ordonne ; car je m’en vais avec la sainte espérance de revenir ou de vous appeler bientôt. Dans ce moment je fais un rêve affreux. Il me semble que quand je serai seule avec moi-même, je me réveillerai digne de vous. Je ne veux point que mon frère me suive. Je vais le tromper, lui faire prendre une route opposée à celle que je prends moi-même. Sur tout ce que vous avez de plus cher au monde, ne contrariez en rien mon projet, et croyez-moi sincère. C’est à cela que je verrai si vous m’aimez véritablement, et si je puis sacrifier sans rougir ma pauvreté à votre richesse, mon obscurité à votre rang, mon ignorance à la science de votre esprit. Adieu ! mais non : au revoir, Albert. Pour vous prouver que je ne m’en vais pas irrévocablement, je vous charge de rendre votre digne et chère tante favorable à notre union, et de me conserver les bontés de votre père, le meilleur, le plus respectable des hommes ! Dites-lui la vérité sur tout ceci. Je vous écrirai de Vienne. »

L’espérance de convaincre et de calmer par une telle lettre un homme aussi épris qu’Albert était téméraire sans doute, mais non déraisonnable. Consuelo sentait revenir, pendant qu’elle lui écrivait, l’énergie de sa volonté et la loyauté de son caractère. Tout ce qu’elle lui écrivait, elle le pensait. Tout ce qu’elle annonçait, elle allait le faire. Elle croyait à la pénétration puissante et presque à la seconde vue d’Albert ; elle n’eût pas espéré de le tromper ; elle était sûre qu’il croirait en elle, et que, son caractère donné, il lui obéirait ponctuellement. En ce moment, elle jugea les choses, et Albert lui-même, d’aussi haut que lui.

Après avoir plié sa lettre sans la cacheter, elle jeta sur ses épaules son manteau de voyage, enveloppa sa tête dans un voile noir très-épais, mit de fortes chaussures, prit sur elle le peu d’argent qu’elle possédait, fit un mince