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consuelo.

figure est connue ; au jour, je m’arrêterai, et j’attendrai mon frère.

— Mais en quel endroit ?

— Je ne puis le savoir. Mais dis-lui que ce sera à un relai de poste. Qu’il ne fasse pas de questions avant dix lieues d’ici. Alors il demandera partout madame Wolf ; c’est le premier nom venu ; ne l’oublie pas pourtant. Il n’y a qu’une route pour Prague ?

— Qu’une seule jusqu’à…

— C’est bon. Arrête-toi dans le faubourg pour faire rafraîchir tes chevaux. Tâche qu’on ne voie pas la selle de femme ; jette ton manteau dessus ; ne réponds à aucune question, et repars. Attends ! encore un mot : dis à mon frère de ne pas hésiter, de ne pas tarder, de s’esquiver sans être vu. Il y a danger de mort pour lui au château.

— Dieu soit avec vous, la jolie fille ! répondit le guide, qui avait eu le temps de rouler entre ses doigts l’argent qu’il venait de recevoir. Quand mes pauvres chevaux devraient en crever, je suis content de vous avoir rendu service. — Je suis pourtant fâché, se dit-il quand elle eut disparu dans l’obscurité, de ne pas avoir aperçu le bout de son nez ; je voudrais savoir si elle est assez jolie pour se faire enlever. Elle m’a fait peur d’abord avec son voile noir et son pas résolu ; aussi ils m’avaient fait tant de contes à l’office, que je ne savais plus où j’en étais. Sont-ils superstitieux et simples, ces gens-là, avec leurs revenants et leur homme noir du chêne de Schreckenstein ! Bah ! j’y ai passé plus de cent fois, et je ne l’ai jamais vu ! J’avais bien soin de baisser la tête, et de regarder du côté du ravin quand je passais au pied de la montagne. »

En faisant ces réflexions naïves, le guide, après avoir donné l’avoine à ses chevaux, et s’être administré à lui-