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Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/257

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consuelo.

m’oppressait, et dont j’aspirais toujours à sortir ! Et voilà que je m’épouvante dès les premiers pas ? N’est-ce pas là le métier pour lequel je suis née, « courir, pâtir, et oser ? » Qu’y a-t-il de changé en moi depuis le temps où je marchais avant le jour avec ma pauvre mère, souvent à jeun ! et où nous buvions aux petites fontaines des chemins pour nous donner des forces ? Voilà vraiment une belle Zingara, qui n’est bonne qu’à chanter sur les théâtres, à dormir sur le duvet, et à voyager en carrosse ! Quels dangers redoutais-je avec ma mère ? Ne me disait-elle pas, quand nous rencontrions des gens de mauvaise mine : « Ne crains rien ; ceux qui ne possèdent rien n’ont rien qui les menace, et les misérables ne se font pas la guerre entre eux ? » Elle était encore jeune et belle dans ce temps là ! est-ce que je l’ai jamais vue insultée par les passants ? Les plus méchants hommes respectent les êtres sans défense. Et comment font tant de pauvres filles mendiantes qui courent les chemins, et qui n’ont que la protection de Dieu ? Serais-je comme ces demoiselles qui n’osent faire un pas dehors sans croire que tout l’univers, enivré de leurs charmes, va se mettre à les poursuivre ! Est-ce à dire que parce qu’on est seule, et les pieds sur la terre commune, on doit être avilie, et renoncer à l’honneur quand on n’a pas le moyen de s’entourer de gardiens ? D’ailleurs ma mère était forte comme un homme ; elle se serait défendue comme un lion. Ne puis-je pas être courageuse et forte, moi qui n’ai dans les veines que du bon sang plébéien ? Est-ce qu’on ne peut pas toujours se tuer quand on est menacée de perdre plus que la vie ? Et puis, je suis encore dans un pays tranquille, dont les habitants sont doux et charitables ; et quand je serai sur des terres inconnues, j’aurai bien du malheur si je ne rencontre pas, à l’heure du danger, quelqu’un de ces êtres droits