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consuelo.

et généreux, comme Dieu en place partout pour servir de providence aux faibles et aux opprimés. Allons ! du courage. Pour aujourd’hui je n’ai à lutter que contre la faim. Je ne veux entrer dans une cabane, pour acheter du pain, qu’à la fin de cette journée, quand il fera sombre et que je serai bien loin, bien loin. Je connais la faim, et je sais y résister, malgré les éternels festins auxquels on voulait m’habituer à Riesenburg. Une journée est bientôt passée. Quand la chaleur sera venue, et mes jambes épuisées, je me rappellerai l’axiome philosophique que j’ai si souvent entendu dans mon enfance : « Qui dort dîne. » Je me cacherai dans quelque trou de rocher, et je te ferai bien voir, ô ma pauvre mère qui veilles sur moi et voyages invisible à mes côtés, à cette heure, que je sais encore faire la sieste sans sofa et sans coussins ! »

Tout en devisant ainsi avec elle-même, la pauvre enfant oubliait un peu ses peines de cœur. Le sentiment d’une grande victoire remportée sur elle-même lui faisait déjà paraître Anzoleto moins redoutable. Il lui semblait même qu’à partir du moment où elle avait déjoué ses séductions, elle sentait son âme allégée de ce funeste attachement ; et, dans les travaux de son projet romanesque, elle trouvait une sorte de gaieté mélancolique, qui lui faisait répéter tout bas à chaque instant : « Mon corps souffre, mais il sauve mon âme. L’oiseau qui ne peut se défendre a des ailes pour se sauver, et, quand il est dans les plaines de l’air, il se rit des pièges et des embûches. »

Le souvenir d’Albert, l’idée de son effroi et de sa douleur, se présentaient différemment à l’esprit de Consuelo ; mais elle combattait de toute sa force l’attendrissement qui la gagnait à cette pensée. Elle avait formé la résolution de repousser son image, tant qu’elle ne se