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consuelo.

serait pas mise à l’abri d’un repentir trop prompt et d’une tendresse imprudente.

« Cher Albert, ami sublime, disait-elle, je ne puis m’empêcher de soupirer profondément quand je me représente ta souffrance ! Mais c’est à Vienne seulement que je m’arrêterai à la partager et à la plaindre. C’est à Vienne que je permettrai à mon cœur de me dire combien il te vénère et te regrette ! »

« Allons, en marche ! » se dit Consuelo en essayant de se lever. Mais deux ou trois fois elle tenta en vain d’abandonner cette fontaine si sauvage et si jolie, dont le doux bruissement semblait l’inviter à prolonger les instants de son repos. Le sommeil, qu’elle avait voulu remettre à l’heure de midi, appesantissait ses paupières ; et la faim, qu’elle n’était plus habituée à supporter aussi bien qu’elle s’en flattait, la jetait dans une irrésistible défaillance. Elle voulait en vain se faire illusion à cet égard. Elle n’avait presque rien mangé la veille ; trop d’agitations et d’anxiétés ne lui avaient pas permis d’y songer. Un voile s’étendait sur ses yeux ; une sueur froide et pénible alanguissait tout son corps. Elle céda à la fatigue sans en avoir conscience ; et tout en formant une dernière résolution de se relever et de reprendre sa marche, ses membres s’affaissèrent sur l’herbe, sa tête retomba sur son petit paquet de voyage, et elle s’endormit profondément. Le soleil, rouge et chaud, comme il est parfois dans ces courts étés de Bohême, montait gaiement dans le ciel ; la fontaine bouillonnait sur les cailloux, comme si elle eût voulu bercer de sa chanson monotone le sommeil de la voyageuse, et les oiseaux voltigeaient en chantant aussi leurs refrains babillards au-dessus de sa tête.