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un peu de bien. Keller n’avait ni le temps ni le moyen de faire le voyage, et n’osait s’y déterminer, dans la crainte que la succession ne valût pas les frais de son déplacement et la perte de son temps. Je venais de recevoir quelque argent de mon travail. Je lui ai offert de faire le voyage, et de prendre en main ses intérêts. J’ai donc été à Pilsen ; et, dans une semaine que j’y ai passée, j’ai eu la satisfaction de voir réaliser l’héritage de Keller. C’est peu de chose sans doute, mais ce peu n’est pas à dédaigner pour lui ; et je lui rapporte les titres d’une petite propriété qu’il pourra faire vendre ou exploiter selon qu’il le jugera à propos. En revenant de Pilsen, je me suis trouvé hier soir dans un endroit qu’on appelle Klatau, et où j’ai passé la nuit. Il y avait eu un marché dans la journée, et l’auberge était pleine de monde. J’étais assis auprès d’une table où mangeait un gros homme, qu’on traitait de docteur Wetzélius, et qui est bien le plus grand gourmand et le plus grand bavard que j’aie jamais rencontré. « Savez-vous la nouvelle ? disait-il à ses voisins : le comte Albert de Rudolstadt, celui qui est fou, archi-fou, et quasi enragé, épouse la maîtresse de musique de sa cousine, une aventurière, une mendiante, qui a été, dit-on, comédienne en Italie, et qui s’est fait enlever par le vieux musicien Porpora, lequel s’en est dégoûté et l’a envoyée faire ses couches à Riesenburg. On a tenu l’événement fort secret ; et d’abord, comme on ne comprenait rien à la maladie et aux convulsions de la demoiselle que l’on croyait très-vertueuse, on m’a fait appeler comme pour une fièvre putride et maligne. Mais à peine avais-je tâté le pouls de la malade, que le comte Albert, qui savait sans doute à quoi s’en tenir sur cette vertu-là, m’a repoussé en se jetant sur moi comme un furieux, et n’a pas souffert que je rentrasse dans l’appartement. Tout s’est passé fort secrè-