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consuelo.

résolu à me faire tuer pour vous, je n’aurai peut-être pas la force de vous préserver.

— À quoi allez-vous songer, mon pauvre enfant ? Si j’étais assez belle pour fixer les regards des passants, je pense qu’une femme qui se respecte sait imposer toujours par sa contenance…

— Que vous soyez laide ou belle, jeune ou sur le retour, effrontée ou modeste, vous n’êtes pas en sûreté sur ces routes couvertes de soldats et de vauriens de toute espèce. Depuis que la paix est faite, le pays est inondé de militaires qui retournent dans leurs garnisons, et surtout de ces volontaires aventuriers qui, se voyant licenciés, et ne sachant plus où trouver fortune, se mettent à piller les passants, à rançonner les campagnes, et à traiter les provinces en pays conquis. Notre pauvreté nous met à l’abri de leur talent de ce côté-là ; mais il suffit que vous soyez femme pour éveiller leur brutalité. Je pense sérieusement à changer de route ; et, au lieu de nous en aller par Piseck et Budweiss, qui sont des places de guerre offrant un continuel prétexte au passage des troupes licenciées et autres qui ne valent guère mieux, nous ferons bien de descendre le cours de la Moldaw, en suivant les gorges de montagnes à peu près désertes, où la cupidité et les brigandages de ces messieurs ne trouvent rien qui puisse les amorcer. Nous côtoierons la rivière jusque vers Reichenau, et nous entrerons tout de suite en Autriche par Freistadt. Une fois sur les terres de l’Empire, nous serons protégés par une police moins impuissante que celle de la Bohême.

— Vous connaissez donc cette route-là ?

— Je ne sais pas même s’il y en a une ; mais j’ai une petite carte dans ma poche, et j’avais projeté, en quittant Pilsen, d’essayer de m’en revenir par les montagnes, afin de changer et de voir du pays.